Rejetée à la périphérie de la ville par la spéculation immobilière, rien n’indique la piste qu’il faut suivre pour atteindre la prison. Il faut savoir où elle est, c’est tout. De prime abord, elle a un aspect plutôt avenant : bouquets de bougainvilliers, frangipaniers et petit bâtiment administratif fraîchement repeint en bleu et ocre constituent l’entrée colorée de cet établissement gardé par un homme nonchalant en uniforme. On franchit le double portail d’acier classique de toutes les prisons du monde et l’on pénètre dans l’univers clôt d’une prison de 650 détenus dont 38 femmes. Au premier coup d’œil je suis encore frappé par l’aspect relativement paisible de la scène malgré les barbelés qui quadrillent le paysage: des prisonniers en pyjama bleu et en tongs vaquent aux occupations les plus diverses : jardinage, confection de meubles, cuisine, atelier de réparation de radios, lessive, promenade. Huit grands baraquements grillagés sont entourés de potagers et d’arbustes. Après quelques consultations au minuscule dispensaire de la prison, je demande à faire un tour de la prison. Permission accordée. Lorsque je rentre dans les baraquements de ciment l’atmosphère n’est plus la même : de part et d’autre d’un large couloir en béton brut gardé par des policiers s’ouvrent par une lourde porte d’acier cadenassée, des cellules de 8 mètres sur 5 où s’entassent 25 détenus. A l’approche des gardiens et des visiteurs les prisonniers ont pour consigne de s’accroupir et de se taire. Deux grandes banquettes de béton de deux mètres sur six servent de couche à tous les détenus d’une même cellule. Pas de nattes, pas de matelas, pas de moustiquaires, pas de draps. Dans un coin de la pièce, un grand baquet d’eau fait office de salle d’eau. Les murs de ciment gris sont parfaitement nus : ni mobilier, ni ampoule, ni ventilateurs dans des pièces qui peuvent aisément atteindre 35°. La promiscuité est totale et les infections cutanées, la gale surtout, n’épargnent personne. La tuberculose est très répandue. Il y a plusieurs cas de Sida heureusement sous traitement. Je croise des regards interrogateurs. Mais personne n’a l’autorisation de parler. Les visages sont inexpressifs et gardent les balafres et les cicatrices de la violence qui règne la nuit dans les cellules. J’aperçois un garçon d’une dizaine d’années assis par terre à l’ombre d’un mur. Je demande alors au directeur adjoint de la prison qui accompagne ma visite combien il a de mineurs dans son établissement. « Aucun !». Puis apercevant l’enfant que j’avais vu, il rectifie : « quelques uns ». Je m’inquiète : « Qu’a fait cet enfant pour se retrouver ici ? ». « C’est un terroriste ! » répond mon bonhomme… Malgré mes questions je n’en saurai pas plus. La plupart des détenus sont là pour des affaires de mœurs, de vols sans violence (au Cambodge, le vol d’un vélo est passible de deux ans de prison) et de petits trafics. Beaucoup sont là sans jugement. Une prison, que ce soit à Bruxelles ou à Siem Reap, ça sent la poisse et la désolation. Ce sont des existences déchues. Des histoires de violence et de parias. Victimes et bourreaux confondus. Des êtres qu’on déshumanise. Des sans droits.
Dans les prisons de Belgique ou d'Asie, les centres fermés pour réfugiés, les dispensaires du Cambodge ou du Congo, dans les rues de Bruxelles résonnant des cris de ceux qui réclament le respect de l'Homme, de sa dignité, de ses droits, ta présence, ton attention, ton humanité ont été et restent une réponse à la poisse et à la désolation. Une goutte d'eau peut-être mais de celles qui aident l'assoiffé à tenir encore et encore...
Rédigé par : Nath | 09/03/2005 à 20:44