Cette nuit, gros orage. Drache diluvienne, tonnerre, vacarme, éclairs et finalement boum ! Dans le mile, rupture de courant. Des trombes d’eau ont déferlé sur notre maison de bois qui a n’a pas mis longtemps à fuir comme un vulgaire tonneau percé. Des ruissellements d’eau un peu partout dans les chambres, dans les couloirs. Une petite cataracte dégoulinait gentiment sur la chaîne stéréo. Nous étions dans la nuit noire, juste zébrée des flashs électriques de la tempête. Recherche des lampes de poche. Piles plates évidemment, les enfants avaient joué chasse au trésor avec les lampes. Mary-Odile trouve une bougie, des allumettes. Je fais le tour de la maison. Je débranche tout ce qui craint l’orage, ordinateurs, télé, radio. Je déplace la chaîne stéréo. Je jette des serviettes-éponges sur les flaques du plancher. Je me recouche. L’orage tonne. La pluie frappe les tuiles du toit comme une douche des carrelages. Il fait chaud maintenant sans climatiseur ni ventilateur. J’ouvre en grand les portes de la chambre pour laisser rentrer l’air si frais si doux du vent de l’orage. Tant pis pour les moustiques. Je finis par me rendormir au son des crapauds-buffles en rut et des crissements métalliques des criquets. Réveillé à l’aube par la musique électrifiée et douçâtre de violons traditionnels khmers et de tambours qui célèbrent le mariage d’un enfant des voisins. Où ont-ils trouvé le courant ? Sans doute un groupe électrogène. Incapable de me rendormir, je me lève vaseux. Il pleut toujours. La campagne alentours est inondée. Je vais inspecter notre petite station météo. Le pluviomètre déborde. Acheté en Belgique, il n’est pas calibré pour les averses tropicales. Au moins 60 mm d’eau sont tombés. Soixante litres par m². Peut-être cent. Le thermomètre affiche 24°c, quel bonheur après la canicule des dernières semaines. Je me dis qu’il fera doux toute la journée. C’est samedi, on ira faire du vélo. Le jour se lève. Des éphémères ont éclot dans les mares. Ils s’élèvent en nuages vibrionnants. Les hirondelles qui nichent dans les cocotiers virevoltent le bec grand ouvert et je compte les prises. Mon autre voisin, celui qui ne marie pas sa fille, pèche au pied de sa maison de torchis, dans sa parcelle transformée en étang boueux. Il a une nasse en osier dont les ouvertures en entonnoir piègent les poissons. Et ça marche. C’est incroyable, cette cuvette hier sèche et stérile regorge aujourd’hui de petits poissons chats. Ils attendaient depuis des mois la pluie qui viendrait les délivrer de leur vase pour les livrer aux hommes affamés. Ils sont dépiautés sur place.