Extrait de mon intervention de ce matin:
Ce principe de reconnaissance, d’identification mutuelle lorsque des êtres humains se trouvent dans l’espace public fonde véritablement notre vivre ensemble. C’est le visage qui très largement incarne l’identité des individus. C’est d’ailleurs le visage et non l’entièreté du corps qu’on fait apparaître sur nos cartes d’identité et nos passeports.
Nous pensons que pour qu’il y ait société, il faut qu’un lien social unisse les individus. Pour tisser ce lien et plus encore pour le renforcer, il convient que les individus puissent interagir entre eux. L’interaction entre les personnes nécessite leur reconnaissance mutuelle. Une personne qui cache son visage à autrui s’isole des autres individus et de la société toute entière, elle s’exclut du champ social. Elisabeth Badinter appelle ce comportement « une automutilation sociale » ou « la rupture du pacte social ». Elle rappelle que le port du voile intégral représente en quelque sorte « une fin de non recevoir à tout échange humain ».
Nous pensons aussi qu’il s’agit d’une forme de déshumanisation inacceptable de l’espace public.
Mais le port d’un vêtement qui couvre totalement le visage représente aussi une régression choquante au regard du combat des femmes pour leurs droits, leurs libertés et l’égalité des femmes et des hommes. Car ces êtres sans corps, sans visage, sans identité sexuée, sans véritable identité publique d’ailleurs que sont ces personnes totalement dissimulées sous leur vêtement, se trouvent privés de leur dignité et de leur singularité d’être humain. Le port de la burqa ou du niqab constituent de fait pour nous une atteinte flagrante aux valeurs de dignité et d’égalité qui constituent des principes fondamentaux de la Charte européenne des Droits de l’Homme.
Faut-il rappeler que le port de la burqa ou du niqab ne constituent en aucun cas des prescrits coraniques ? Il s’agit en réalité selon les historiens de traditions préislamiques mises en place par des sociétés machistes et violentes où les femmes vivaient recluses et sans droits. Ces traditions ont été poursuivies et renforcées par les courants les plus intégristes et radicaux de l’islam actuel comme le salafisme dans la péninsule arabique ou les talibans en Afghanistan.
Le port de la burqa ou du niqab ne vient jamais seul, comme le démontre la situation dans les pays où ils sont portés par un grand nombre de femmes. C’est souvent la manifestation la plus visible d’autres atteintes violentes aux droits humains : droit à l’éducation, droit de disposer de son corps, droit à un mariage et à une sexualité librement consentis, droit d’aller et venir librement, liberté d’expression et d’opinion,…
A ceux qui objecteraient que le phénomène est peu fréquent, je demanderais jusqu’à quel chiffre ce comportement est acceptable. En réalité peu importe qu’on parle de 100 ou de 1000 cas, c’est bien sûr d’abord une question de principes, et il parait inopportun d’attendre une banalisation de ce phénomène pour agir. Ce qui est sur, c’est que le problème était inexistant il y a 10 ans et qu’il est aujourd’hui en croissance. Il est significatif de noter que le mot « burqa » n’apparait dans le dictionnaire Larousse qu’à partir de 2004.
Les règlements communaux ne sauraient régler valablement un tel problème. Seul le législateur est habilité, dans une société démocratique, à apporter des restrictions à la liberté de mouvement et, en conséquence, à ériger un comportement en infraction. La multiplicité d’interventions règlementaires locales ne saurait satisfaire à ce principe. De plus, elle méconnaitrait le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi pour ceux qui, Belges et étrangers, résident en Belgique. A titre d’exemple, en région bruxelloise, l’examen des règlements de police indique que le port de la burqa est parfois totalement interdit (Ville de Bruxelles), totalement autorisé (Ixelles), interdit sauf pendant la période de carnaval et Halloween (Auderghem, Watermael-Boisfort et Uccle) ou seulement le mardi gras (autres communes).
Nous avons voulu dans notre proposition de loi créer un dispositif sobre et simple :
· Nous rappelons à l’article 2 que chaque personne dispose de la liberté d’aller et venir librement sur la voie publique. Elle exerce cette liberté dans les conditions prévues par les lois et règlements ou en vertu de ceux-ci. Nous faisons référence ici par exemple au code de la route, aux bonnes mœurs ou à la présente proposition de loi.
· L’article 3 dispose que toute personne qui se trouve ou se déplace sur la voie publique doit pouvoir être reconnue et identifiée.
· A l’article 4, nous proposons que toute personne qui couvre son visage et ne permet pas de la reconnaitre et de l’identifier alors qu’elle se trouve ou se déplace sur la voie publique encoure une amende de 25 euros ou un emprisonnement d’un à sept jours, sauf en cas de disposition légale ou règlementaire contraire : par exemple le casque du motard ou celui du pompier, ou le masque du soudeur.
· L’article 5 vient confirmer que les ordonnances de police qui autorisent les masques ou les déguisements à certaines périodes comme le carnaval, restent bien sûr d’application.