Monsieur le président, chers collègues, messieurs les ministres, le gouvernement en affaires courantes a donc pris la décision, mercredi dernier, d'engager notre armée dans une action militaire. Mais pour des raisons évidentes, d'autant plus en période d'affaires courantes, il demande le soutien et l'approbation de notre parlement.
Notre groupe, le cdH, votera en faveur de la proposition de résolution, que j'ai cosignée avec six autres groupes, qui prévoit de soutenir le gouvernement dans son action non seulement militaire, mais aussi politique et humanitaire, et qui prévoit également d'en préciser les limites et les contours.
La question centrale qui nous anime, c'est: pourquoi intervenir et pourquoi intervenir aujourd'hui? J'ajouterais: pourquoi intervenir enfin? Certains pensent qu'on agit de manière précipitée. Mais, monsieur De Vriendt, c'est votre stratégie qu'on applique depuis trois ans en Syrie. En ne faisant rien, en appelant à des conférences gouvernementales, en évitant d'intervenir sur le terrain. En acceptant quatre fois le veto de la Russie et de la Chine. Quatre fois déjà ces deux pays se sont opposés à ce qu'il y ait une quelconque intervention sur le terrain.
La raison pour laquelle on intervient aujourd'hui, c'est d'abord par devoir d'humanité. Il est temps d'arrêter le massacre à grande échelle, cet incendie fulgurant, épouvantable, la violence écœurante qui s'étend actuellement sur un territoire extrêmement vaste, à cheval entre l'Irak et la Syrie. Cela a déjà contaminé les pays voisins comme la Jordanie et le Liban. Il s'agit d'un conflit qui menace la sécurité du monde, d'autres collègues l'ont également souligné.
Monsieur De Vriendt, je reviens du Kurdistan irakien. J'ai été à la rencontre des victimes chaldéennes, syriaques, yézidies, turkmènes, chiites, sabéennes. Elles sont nombreuses. Ces personnes m'ont raconté les horreurs qu'elles ont vécues. J'ai rencontré des survivants, ceux qui avaient pu courir assez vite pour ne pas être massacrés par ces barbares. Ils m'ont raconté leur fuite, les scènes hallucinantes durant lesquelles leurs proches étaient assassinés, leurs enfants décapités, leurs vieillards, trop lents, anéantis dans des immeubles dynamités.
Il s'agissait de simples femmes, d'hommes, d'enfants chassés de leur village, pourchassés pour leurs croyances, massacrés parce que non islamistes, infidèles, impurs, pseudo-adorateurs du diable, ou simplement pas assez croyants, ou anciens collaborateurs locaux de l'armée irakienne ou de l'armée américaine. Dans leur détresse extrême, ce qu'ils réclamaient d'abord, monsieur De Vriendt, n'était pas tant l'aide humanitaire, pourtant indispensable vu leur extrême précarité, mais notre protection.
C'était toujours, à chaque entrevue, le premier mot, la première demande, la première supplique qui nous était adressée: "protégez-nous contre ces monstres, retrouvez nos proches emmenés comme captifs, comme otages, comme esclaves sexuels!
Nous ne retournerons pas là-bas d'où on nous a chassés si vous ne nous protégez pas durablement." Telles sont les propos que nous avons entendus pendant cette semaine que nous avons passée aux côtés de ces personnes déplacées.
Je crois sincèrement que nous avons la responsabilité de protéger ces populations. On rappelle souvent le droit international qui consacre la volonté absolue des États. Ce principe a d'ailleurs encore été renforcé par les 5 grandes puissances nucléaires – monsieur De Vriendt, cela devrait vous évoquer quelque chose! –, vainqueurs en 1945 et qui ont donc un droit de veto qui leur permet, même lorsque la paix du monde est menacée, d'empêcher toute action.
Ce droit de veto, je le rappelle, a déjà été utilisé quatre fois par la Russie et la Chine pour ne rien faire en Syrie! Malgré les horreurs, malgré la déstabilisation de toute une région, malgré les millions des réfugiés, malgré les 200 000 morts que vous rappeliez, malgré les gaz chimiques! Droit de veto non pas utilisé pour des raisons de sécurité internationale par ces deux pays mais pour des raisons de politique intérieure ou de vision cynique des relations internationales: Chacun a le droit de massacrer, pourvu qu'il le fasse à domicile! C'est cela que proposent la Russie et la Chine aujourd'hui avec leur droit de veto!
Ces puissances n'ont d'ailleurs pas hésité à envahir la Crimée, une partie de l'Ukraine, et déstabiliser la Mer de Chine aujourd'hui en prenant position dans certains de ses îlots.
Entendons-nous bien! J'accorde une grande importance aux prérogatives du Conseil de sécurité et dans l'immense majorité des cas, ce Conseil fonctionne plutôt bien depuis la fin de la Guerre froide mais il est tout aussi important de mesurer clairement les limites de ce Conseil et de bien comprendre que les règles actuelles de l'ordre international pourraient un jour être emportées si aux yeux des peuples elles n'ont plus aucune légitimité.
On oublie souvent deux éléments fondamentaux dans le droit international, que je ne vous entends jamais rappeler, et qui fondent aussi notre action.
Premièrement, lorsqu'un génocide est en cours – et c'est certainement le cas à l'encontre des Yézidis mais on peut aussi le redouter à l'encontre d'autres croyances comme les Chrétiens ou les Sabéens –, il est de notre devoir d'intervenir. Je le répète: nous avons le devoir d'intervenir! Un droit de veto qui serait brandi à ce moment bafoue les obligations de la Charte des Nations unies.
Deuxièmement, la responsabilité de protéger que j'évoquais tout à l'heure est aussi un principe important de la doctrine internationale, approuvé par l'Assemblée générale des Nations unies lors de sa session d'automne 2005. Cette responsabilité de protéger prévoit clairement de subordonner la souveraineté des États à l'application des standards minimaux en matière de droit humanitaire et des droits de l'homme.
Je rappellerai aussi que nous agissons à l'invitation de l'Irak dont les évolutions politiques récentes créent aussi une fenêtre d'opportunité. Mais si nous agissons maintenant, c'est aussi parce que la menace n'est plus seulement régionale. Elle devient mondiale, d'abord par la prétention de ce califat islamique à exiger l'allégeance de tous les pays musulmans et d'une série d'autres Nations à son autorité, ensuite par les ralliements qu'il a déjà pu susciter.
Et nous agissons également parce que les métastases de ce cancer essaiment jusque chez nous. Des jeunes, 300 à 350, sont partis de chez nous pour se battre. Certains en sont revenus, dangereux, endoctrinés, formés à tuer, prêts à commettre des crimes. Mehdi Nemmouche est passé à l'acte contre le Musée juif de Bruxelles. D'autres, sans doute, sont prêts à le faire. C'est donc de notre propre sécurité qu'il s'agit, sans compter que notre responsabilité est engagée par le fait que certains de ces jeunes partis sont justement les bourreaux des réfugiés que j'ai rencontrés au Kurdistan irakien. C'est le ministre de l'Intérieur du Kurdistan irakien qui me l'a dit, lorsque je l'ai rencontré. Il m'a dit: "Mais qu'est-ce que vous faites en Europe? Que se passe-t-il? Il y a ces jeunes qui partent de chez vous, qui viennent tuer nos compatriotes et qui, ensuite, reviennent et circulent librement en Europe. Quand allez-vous arrêter ces jeunes et quand allez-vous être plus sévères avec ces départs?" C'est un musulman sunnite, monsieur De Vriendt, qui me l'a dit.
Sur le format de l'engagement militaire, je l'ai dit en commission, je suis certain que nos F-16 seront utiles. Des frappes ciblées, menées avec discernement, comme celles qui ont été réalisées par l'armée américaine et maintenant par les Français et les États arabes unis, ont permis, dans certains cas, et permettront encore de stopper l'avance du groupe État islamique. On le sait, nos avions sont excellents, nos pilotes parmi les meilleurs au monde. Nos règles d'engagement – si ce sont celles qui prévalaient en Afghanistan – sont claires et rassurantes. Mais je continue d'insister pour qu'on aide au sol les hommes qui se battent aujourd'hui, au quotidien, contre ce groupe Daech et qui partagent, en tout cas pour ceux que j'ai rencontrés et qui l'ont démontré d'ailleurs, nos valeurs de tolérance et de respect de la diversité, de l'intégrité et de la dignité humaine.
Au Kurdistan, j'ai rencontré les peshmerga qui se sont portés au secours des chrétiens, des yésidis, des turkmènes et même des chiites. Ils se battent avec bravoure pour sauver les leurs mais aussi les autres, toutes les autres victimes du Daech. Sans eux, Bagdad serait sans doute aujourd'hui aux mains du calife Al-Baghdadi. Sans eux, les chrétiens auraient été décimés et les yésidis totalement anéantis. Ils sont des partenaires fiables. Je suis heureux qu'ils soient reconnus comme tels par la communauté internationale mais il faut les aider vite. Lorsque je les ai rencontrés, voici dix jours, ils se battaient toujours avec des armes légères datant de la guerre Iran-Irak contre les forces du Daech équipées, elles, avec les meilleurs armements pillés dans les stocks de l'armée irakienne, fournis par l'armée américaine. C'est donc un combat totalement inégal qui explique l'avancée fulgurante au nord de l'Irak, voici six semaines, et au Kurdistan syrien, voici quelques jours.
Alors, je veux bien et je comprends que la Belgique préfère aujourd'hui limiter son action en Irak. Nous sommes un petit pays. Et je comprends que nous nous concentrions sur cette action. Il faudra que le parlement soit étroitement lié à l'évaluation des opérations. Mais je veux être clair. Monsieur Van Der Maelen, comme vous l'avez dit en d'autres termes, je ne condamnerai pas les États-Unis pour avoir frappé ces derniers jours les forces du Daesh autour de la ville kurde de Koban dans le Nord de la Syrie, parce que c'est là que cela se passe aujourd'hui et que des dizaines de milliers de personnes sont encerclées par le Daesh. Ces frappes ont permis, dans une certaine mesure, de desserrer l'étau autour de Koban.
Ne créons pas de facto des sanctuaires ni des zones de repli pour les forces du Daesh, comme le disait le ministre des Affaires étrangères en commission. Et soyons lucides: pour ce califat, il n'y a pas de frontière entre l'Irak et la Syrie. Il contrôle 120 000 kilomètres carrés et treize millions d'habitants de part et d'autre de cette frontière irako-syrienne.
Je rappellerai aussi les propos du Grand Rabbin de France, qui espérait que nous intervenions plus rapidement pour ces populations que nous ne l'avons fait pour les juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, nous ne remporterons pas la guerre contre l'obscurantisme et la brutalité par les seules armes, nous en sommes bien d'accord. Nous menons un combat de longue haleine, qui a débuté voici au moins quinze ans, qui est devant nous pour longtemps et qui est avant tout politique. Cette guerre se gagnera par la réaffirmation de nos valeurs, par l'éducation, par le combat pour plus de justice sociale, par une meilleure coopération internationale pour faire progresser les valeurs de liberté, de dignité et de justice. Elle se gagnera aussi par plus de fermeté à l'encontre de ceux qui s'engagent sur le terrain du djihad. Nous devons aussi avancer en ce domaine. Un texte contraignant du Conseil de Sécurité, voté il y a deux jours – en présence de notre premier ministre et de vingt-sept chefs d'État – nous y oblige.
Nous réclamons depuis longtemps, au cdH, que soit approuvée la fameuse loi "mercenaires". Joëlle Milquet – monsieur Francken, vous y faisiez allusion tout à l'heure – a déposé en avril 2013 ce texte sur la table du kern. Elle n'a reçu aucun soutien à cette époque-là. Nous continuons de demander que l'arrêté royal permettant d'exécuter cette loi soit enfin approuvé par le Conseil des ministres. D'autres mesures comme l'interdiction de voyager ou le système des listes aux entrées et aux sorties de Schengen, comme le suggère Gilles de Kerchove, doivent également être prises.
Il faut assécher les ressources des terroristes du Daesh. Comment se fait-il que le Daesh continue à percevoir tous les jours des millions d'euros de revenus pétroliers alors que les oléoducs qu'ils contrôlent débouchent pour bonne partie en Turquie? Qui sont les acheteurs de ce pétrole? Quels dispositifs l'Union européenne et la communauté internationale mettent-elles en place pour fermer définitivement ces robinets?
Je suis intervenu plusieurs fois en commission sur le rôle trouble de la Turquie, de l'Arabie Saoudite, du Qatar. J'espère qu'enfin, nous tirerons les enseignements du rôle qu'ils ont pu jouer dans ce conflit.
Je terminerai par le volet humanitaire. Des millions de personnes ont été jetées sur les routes. Près de 200 000 personnes ont été assassinées. Certains se cachent. 1 700 Yazidis sont toujours cachés dans les monts Sinjar et poursuivis par les forces du Daesh qui veulent les exterminer. 7 400 Yazidis sont retenus en otage et pourraient servir de boucliers humains. Nous devons les secourir mieux, plus vite. Nous devons aller effectivement au secours des personnes qui sont aux frontières de ces conflits mais aussi pouvoir leur apporter une aide humanitaire plus efficace, également chez nous.
Enfin, j'aimerais saluer tous ces musulmans qui, depuis la Grande-Bretagne, et maintenant dans le monde entier, ont tenu une nouvelle fois à crier haut et fort et à réaffirmer que toutes ces horreurs ne se faisaient pas en leur nom, qu'ils étaient aussi horrifiés, qu'ils étaient scandalisés et prêts à se mobiliser pour lutter contre ce nouveau fascisme, ce nazisme du XXIe siècle, cette menace qui pèse sur le monde entier, sur tous les peuples, quelles que soient leurs croyances, quel que soit le pays qu'ils habitent. Je suis heureux de savoir qu'aujourd'hui, une très large majorité de notre nation, à travers ses élus, que ce soit au Nord ou au Sud du pays, quelles que soient leurs convictions politiques ou philosophiques, soutiennent notre gouvernement et nos forces armées qui s'engagent. C'était indispensable et je m'en réjouis.
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